Assise sur le bord de son lit, une jeune fille à la chevelure rosée observait les murs de sa chambre se teinter d’une belle couleur orangée. Le soleil déclinait lentement à l’horizon pour laisser place à sa cousine la lune. C’était un beau crépuscule. Le regard océanique de la vampire semblait perdu dans le vide et sa bouche à peine ouverte laissait à penser que son esprit était ailleurs. Ce fut le clignement de ses yeux qui la ramena à la réalité. La jeune fille se souvint alors qu’un petit cahier Clairefontaine était posé sur ses genoux et que son Stabilo s’apprêtait à lui échapper des mains. Surprise par son habituelle maladresse, elle rit doucement avant de se pencher à nouveau vers son bouquin. La bille du stylo toucha la page et son poignée vint tracer quelques lignes… Des mots simples apparurent sur la feuille légèrement froissée… Des mots si banaux, mais aussi si important…



Cette jeune vampire devait s’appeler Benedicta Amora Pellegrino. Elle était la fille unique d’une noble famille italienne et originaire de Florence. Ils étaient principalement des notaires dans la famille et jouissait d'une grande richesse. La petite Benedicta vit le jour, un certain 25 juillet, promise à un avenir radieux... Cependant, le destin décida de lui accorder une triste vie d’ignorance et d’oubli permanent…

Les plus grands docteurs de l'époque et d'Italie étaient incapables de mettre le doigt sur cette maladie chronique dont était atteinte la petite rosinette. Pour des raisons qui dépassaient l’entendement, la petite originelle ne possédait pas de mémoire à long terme, seules les mémoires instantanée et à court terme étaient opérationnelles. Les souvenirs datant, d’environ, plus de trois semaines devenaient obsolètes. Impossible pour elle de se remémorer des souvenirs ultérieurs. La seule solution : réactualiser ses souvenirs de temps en temps, si ce n’était tous les jours. A cause de sa maladie, il était impossible à la petite fille de se souvenir complètement de son nom.

“Benedicta ? C’est qui Benedicta ? Moi je m’appelle Bubulle, moi !” s’exclama-t-elle du haut de ses deux ans. Bubulle avait beau se faire appeler Benedicta, pas une seule fois elle se retournait. Dûe à sa passion pour les jolies petites bulles de savon, le terme Bubulle semblait être plus propice à être retenu par la petite fille. Bien que beaucoup de nobles n'y voyait que du ridicule et de l'idiotie de nommer ainsi son enfant, la jeune fille restait aimée et chouchoutée comme une princesse par ses parents. Constamment, ils éloignaient leur petit trésor du monde extérieur cruel et méprisant.

Cependant, cette surprotection ne fonctionna que le temps de quelques années. Alors qu'elle sortait enfin de sa prison dorée pour être présentée à de futur époux le temps de quelques galas et salons privés, un vampire s'était emparé de son humanité. Le temps d'une heure ou deux, on la vida de son sang délicieux avant de lui donner droit à une vie de solitude et de faim insatiable. L'inconnu s'était ensuite volatilisé, la laissant souffrir dans le recoin d'un couloir. Lorsque la jeune femme fut retrouvée, elle avait sombré dans l'inconscience, tellement la douleur en avait été insupportable. Mais cette douleur... Bubulle ne s'en souvenait plus, tout comme le visage mesquin de ce vampire. La vampire resta allitée une semaine et demi avant de pouvoir de nouveau retrouvé l'usage de ses membres.

Malheureusement, le mal était fait et la soif de sang la démangeait énormément. Son manque de discrétion à ce sujet ne passa pas inaperçu lorsque Bubulle s'en était pris au petit chien de compagnie de sa mère. Dégoût, peur, effroi, haine... Tous ces sentiments semblaient bien naturels pour un humain. N'importe qui aurait réagi ainsi. Néanmoins à la découverte de la mutation de leur fille, les parents de Bubulle n'en éprouvèrent point une once. Ils n'avaient pas pu la protéger une fois... Ils ne referaient pas la même erreur.

Le vampirisme de Bubulle resta un secret bien gardé.  La vampire resta auprès de ses parents jusqu'à leur dernier jours avant de partir avec l'héritage qu'on lui avait soigneusement offert. L'Allemagne, la France, le Danemark ou la Roumanie... Bubulle voyagea quelques décennies, parfois accompagnée, parfois seule et livrée à elle même.

Les années passèrent et bien que la petite amnésique n’en avait guère l’impression, elles se ressemblaient toutes. Fascinée par les personnes qui l’entouraient, elle n’a jamais été seule à proprement parlé, même si au fond d’elle ses souvenirs lui manquaient. Ses souvenirs qui n’étaient désormais que de simples mots couchés dans des carnets. Au fil des mois l’encre couler et à chaque lecture de son soit-disant passé, Bubulle s’émerveillait. Chaque soir, elle imaginait la vie qu’elle avait vécu… Tout en racontant celle dont elle se souvenait lors de la journée passée.

Sa vie n’était que des bouquins, rangés les uns à côté des autres, classés par années et remplissant à eux seuls deux armoires. Plus elle contemplait ces récits, plus elle se détachait de son personnage… Bubulle était-elle vraiment Bubulle ? Préférant l’ignorance et croire aux mots que la Bubulle d’hier avait écrit, elle ne souhaitait pas réfléchir à la question. La vie était trop belle pour être gâchée par de simple futilité… Et vivre au jour le jour, même en étant une coquille vide, ne la déplaisait pas.

Bubulle trouva finalement refuge au sein du pensionnat Ereno, une école dans laquelle elle décida de se lancer dans une nouvelle vie - ayant bien conscience qu'elle ne pourra pas vivre des rentes indéfiniment.

Bubulle peinait à garder un niveau raisonnable à l’école. Ses résultats étaient toujours moyens, à croire que quelque chose dans son esprit l’empêcher de raisonner librement. Il lui arrivait souvent d’avoir quelques moments d’absences en cours ou d’oublier. Malgré tout, sa bonne volonté ne la faisait jamais baisser les bras. Elle se donnait à fond, chaque jour, pour exister… Pour ne pas finir… Vide.



Bubulle posa alors son stylo, qui était finalement un PepperMint, et referma son cahier, qui était finalement un Oxford. Un sourire illuminait son visage. Elle était heureuse d’apporter quelques lignes supplémentaires à sa belle vie.